Au-delà de la problématique du risque d'inégalité entre les usagers de la justice et entre les professions juridiques inhérent à l'installation globale des nouvelles technologies dans la procédure, se pose d'autres difficultés: à quel stade est-il envisageable d'avoir recours à ces outils sans que soient altérés la sécurité juridique et la qualité des débats? Imaginons qu'un justiciable désire faire une injonction de payer à l'encontre de son débiteur. Il fera parvenir par voie électronique une requête mais commettra une erreur quant à la compétence du tribunal. Celui-ci ne comprendra pas que cette juridiction ne le dirige pas vers le tribunal compétent et sans doute, ne continuera pas son initiative. Dans cette hypothèse, il semblerait que la justice ne réponde pas aux attentes de cet usager. Dès lors, quelle solution convient-il d'apporter? Faut-il envisager un transfert automatique de la requête qui implique une redéfinition de ceux qui traitent la requête car ce n'est plus le requérant qui a la charge de choisir la juridiction mais cette dernière qui, conduite à poser le problème de la compétence, analyse la situation, décide et tire les conséquences en transférant la requête? Ou bien, faut-il en rester au mécanisme classique en considérant que le constat de l'incompétence résulte en principe d'une décision de justice qui doit être expliquée et doit pouvoir être contestée? Il convient donc de déterminer dans quel cas il est justifié de maintenir un circuit judiciaire classique et dans quel cas un traitement automatisé pour le justiciable est préférable. Dans l'exemple choisi, il paraît possible d'envisager la saisine par voie électronique en raison de la nature du litige: il s'agit d'une procédure gracieuse où les droits de la défense ne sont pas les mêmes que dans une procédure contentieuse. En plus de la perte des relations humaines et de l'inégalité que pourrait engendrer une justice intégralement informatisée, il semble que dématérialiser l'ensemble d'une procédure contentieuse pourrait mettre en péril la qualité des débats. A supposer pour les besoins de notre réflexion qu'un jour l'ensemble de la population française sera informatisée et maîtrisera ces outils, la communication intégrale par voie électronique entre le justiciable et son avocat ne risquera-t-elle pas d'amoindrir la qualité de la défense? La relation entre un client et son avocat est fondée sur la confiance qui nécessite un dialogue étendu. Le danger serait donc que le pouvoir de représentation et de conseil de ce professionnel du droit soient négligés, voire disparaissent. Aussi, est-il réfléchi d'envisager que la défense se fasse par le biais de seules conclusions électroniques? Le propre de l'avocat étant de plaider, même dans une procédure écrite, l'absence de plaidoirie au profit de la dématérialisation entraînera certainement donc un déclin du rôle de l'avocat orateur, ou de la profession d'avocat simplement, ce qui est utopique pour le droit et la justice. Néanmoins, la transmission de conclusions par voie électronique au tribunal et aux contradicteurs n'est pas en elle-même périlleuse si les garanties procédurales sont respectées et à condition que la phase des plaidoiries soit sauvegardée. La coexistence de ces deux éléments semble donc possible car l'échange d'écritures dématérialisées et la sauvegarde de la phase orale du procès n'altèrent en rien les relations humaines qui s'avèrent essentielles. La dématérialisation des actes de procédure, envisagée par les professionnels du droit et bientôt permise pour les actes authentiques suscite des interrogations quant à la signification. En effet, le groupe de travail organisé pour l'élaboration du décret relatif à l'acte authentique électronique, a insisté sur les limites des échanges électroniques dans l'activité première des huissiers de justice qu'est la signification. Leur proposition de modification d'un article du Code de procédure civile est ainsi formulée: si la signification peut être réalisée par voie de communication électronique, elle doit contenir l'adresse de messagerie électronique à laquelle la copie a été envoyée. Il semble ainsi que l'utilisation d'une telle messagerie ne permette pas cependant de s'assurer de l'identité de la personne qui reçoit l'acte et par conséquent de satisfaire aux exigences du Code de procédure civile posant le principe d'une signification à personne. C'est sans doute pour cette raison que les propositions de signification électronique paraissent rester exceptionnelles si la signification peut être réalisée par voie de communication électronique. Le rôle de l'huissier lors de la remise de l'acte à la personne est essentiel et le groupe de travail n'a pas envisagé de modifier le principe. La signification à personne reste donc le principe et la signification électronique ne serait possible que dans les cas où il n'y a pas de personne réelle, c'est-à-dire dans le cas de la personne morale. Ainsi, un nouvel article proposé concerne l'hypothèse de l'équivalence de la signification électronique et de la signification à personne morale: la signification à une personne morale est réputée faite à personne lorsqu'elle est réalisée par voie de communication électronique à l'adresse de messagerie électronique affectée à cette personne morale à la réception de l'acte. Par conséquent, le caractère pédagogique de la remise impose de sauvegarder la présence physique de l'huissier de justice et de la part accordée à l'oralité. Il semble dès lors que les facilités offertes par l'électronique posent bien plus de question de procédure qu'elles n'en facilitent l'exécution. Mais ce qui ressort avant tout de ce constat, c'est que la dématérialisation complète des actes de procédure civile n'est pas réellement judicieuse: l'acte officiel transmis sur support électronique ne semble pas apporter les garanties suffisantes de sauvegarde de la sécurité juridique. Les nouvelles technologies n'offrant pas, en l'état actuel, une assurance dans la remise de l'acte officiel, il convient donc que ce document soit remis de manière certaine à son destinataire, c'est-à-dire en utilisant la procédure classique de la remise de l'acte. Il est donc possible de redouter que les nouvelles technologies mettent en péril le principe du dialogue entre l'usager et les partenaires de la justice. En effet, tout comme le recours où le dialogue est inhérent au processus de conciliation ou de médiation, la procédure civile nécessite des entretiens entre les parties et leur avocat, entre le juge et les parties. On ne saurait soutenir que par nature, la procédure civile compromette le respect du principe du dialogue: l'écrit n'exclut pas l'oralité ni juridiquement ni pratiquement. Il convient donc de limiter l'essor de ces procédés dans la procédure civile, puisqu'une complète dématérialisation des actes pourrait altérer la sécurité juridique et entraîner une rupture d'égalité entre les citoyens et entre les partenaires de la justice. D'autres limites se posent à l'entrée des nouvelles technologies dans la procédure, mais celles-ci sont cette fois liées au fonctionnement même de ces procédés. Le maniement des nouvelles technologies ne sert à rien sans la formation, sans savoir les utiliser en amont. Il est même possible d'aller plus loin en affirmant que cette utilisation n'est d'aucune utilité si on ne dispose pas d'outils efficaces, ainsi que de formations appropriées pour y accéder. L'intérêt de présenter les limites de leur fonction est de montrer que la complexité ne doit pas forcément donner naissance à des craintes. Au contraire, c'est en prenant conscience des obstacles fonctionnels de ces outils qu'il est possible de les contourner. Certains de ces problèmes sont intrinsèquement liés au fonctionnement des outils informatiques entraînant des questions relatives à la continuité des actes juridiques et la traçabilité, questions qui forment une réalité critique. Le développement portera d'abord sur les problèmes liés aux courriels et aux réseaux informatiques et ensuite sur ceux des systèmes informatiques. Le message électronique, un commencement de preuve par écrit. Pour s'assurer de la validité d'un recours déposé par un justiciable par voie électronique ou d'un acte dématérialisé envoyé par un professionnel du droit, l'expéditeur doit posséder la preuve de l'enregistrement de cette transmission, de l'arrivée de cet acte au destinataire. Un message expédié peut-il constituer une preuve suffisante? La réponse ne peut être que négative. En effet, nul n'ignore qu'un message électronique peut aisément être contrefait et que les réseaux informatiques peuvent être singulièrement perturbés par de mauvais plaisant ou de véritables délinquants. Le simple courrier électronique peut être facilement modifié ou altéré et l'identité de son expéditeur usurpée. Il serait donc difficile qu'il emporte la conviction du juge si l'autre partie en conteste le contenu. Ce type de message ne pourrait donc être assimilé qu'à un commencement de preuve par écrit en raison de sa fragilité face aux risques de modification de son contenu. Par conséquent, seul un écrit papier provenant du destinataire saisi ou d'un tiers certificateur permet de s'assurer de la validité d'une transmission. Dans l'hypothèse d'un recours par voie d'Internet, il convient de trouver une solution qui permette d'assurer la sécurité juridique du dépôt par courrier électronique de cet acte. Des start-up ont eu l'occasion de se spécialiser dans l'institution d'une possibilité de recourir à un courrier électronique avec accusé de réception. Le principe est le suivant: l'internaute envoie à une société un courriel au travers d'un formulaire disponible sur le site Internet de la société. Cette dernière est ensuite chargée de transmettre ledit message au destinataire qui ne reçoit pas directement le contenu envoyé mais un email l'invitant à consulter une page du site Internet de la société sur laquelle figure le courrier. Il ne s'agit donc pas d'un réel accusé de réception mais plutôt d'une preuve apportée par un tiers selon laquelle la personne est venue consulter le message envoyé. Même si cette solution semble diminuer les risques préalablement énumérés, elle n'en demeure pas moins incomplète. En effet, il suffit que le destinataire ne puisse pas -ou ne veuille pas- se connecter à de tels sites pour rendre le procédé totalement inefficace. Par conséquent, cette technique n'est pas intégralement fiable et ne permet pas au justiciable de s'assurer que son courrier électronique a bien été reçu par le greffe dans les temps. Néanmoins, le système créé par les sites Internet des juridictions qui mettent à la disposition des usagers des formulaires en ligne tend vers la sécurité juridique. En effet, au lieu de faire transiter le recours par un simple courrier électronique, le mécanisme se fonde sur l'utilisation dudit formulaire de dépôt accessible après la saisie d'un mot de passe permettant ainsi une identification du requérant. Dès lors, avec cette interface, l'utilisateur dispose d'une preuve du dépôt de la requête, preuve qui bien qu'elle ne soit pas encore irréfragable a une certaine force probante: le formulaire en ligne permet de dater l'opération. Ce système semble assurer une fiabilité à l'envoi d'une requête à une juridiction. Cependant, il convient de contrôler la réception du courrier par les utilisateurs puisque, si le document n'est pas traité de la bonne manière, cela risque d'entraîner la fin de l'action. L'utilisation du courrier électronique comme échange d'information ou comme outil de saisine du tribunal pose donc des difficultés quant à l'insécurité qu'elle génère. L'encadrement du courriel est donc nécessaire pour mieux apprécier les avantages qu'il est possible de procurer en termes de gain de temps et de productivité. Il convient de faire face également aux incompatibilités des logiciels utilisés par les professionnels du droit et des systèmes matériels permettant l'accès à l'informatique. Le monde de l'informatique est très concurrentiel, aussi bien sur le plan des matériels que des logiciels. Sur le premier plan, au niveau de la micro-informatique, la technologie a fait des progrès. En effet, les difficultés existantes par exemple entre certaines marques tendent à disparaître peu à peu, puisque les nouveaux modèles d'ordinateurs sortent actuellement sous la double compatibilité. Cependant, le problème reste entier pour longtemps avec les machines acquises avant ces améliorations. De plus, les obstacles techniques liés aux connexions entre les systèmes plus puissants sont encore plus grands puisque cela suscite des incompatibilités entre tous les outils. Sur le plan des logiciels, leur traitement génère des complications étant donné qu'ils peuvent être inadaptés au système d'exploitation de l'ordinateur de l'utilisateur. A ceci, s'ajoute le fait que la multiplication des créateurs rend les différents logiciels de plus en plus incompatibles entre eux. Il n'est cependant pas envisageable d'imposer un seul logiciel pour toutes les professions juridiques puisque le marché de la concurrence est un droit qu'il ne convient pas de transgresser. Ces difficultés nous montrent une fois de plus que les nouvelles technologies se heurtent à des obstacles techniques que les professionnels devront résoudre afin que leur utilisation soit efficace: l'informatique ne doit pas devenir une source de lenteur alors qu'elle est au contraire utilisée pour aller plus vite. Malgré les incomparables exploits techniques des concepteurs de logiciels et de matériels de stockage informatique, dans bien des cas, le support papier et les techniques de micro filmage restent malgré leur volume, des moyens d'archivage sûrs. A ce titre, il faut considérer l'informatique comme un moyen utile de gestion des flux mais savoir qu'elle n'a pas encore fait ses preuves dans la conservation des stocks. L'écrit papier possède de célèbres vertus puisqu'il permet d'un même coup d'enregistrer l'information, de l'administrer, de la transmettre, de l'archiver et de la prouver. Ces qualités semblent difficilement reproductibles à l'égard de l'écrit électronique surtout en ce qui concerne l'archivage dans la mesure où d'un côté, l'accès et la consultation en ligne des documents nécessitent un certain dynamisme et que, d'un autre côté, l'archivage et l'administration de la preuve requièrent une immuabilité. Néanmoins, le législateur a fait évoluer le droit de la preuve puisqu'il intègre maintenant la notion d'écrit sous forme électronique. Outre l'intérêt pour chacun d'être en mesure de prouver la sincérité de ses actes, les règles légales applicables dans un monde où les personnes sont de plus en plus connectées ne peuvent être méconnues. L'usage des procédés dématérialisés ne fait donc qu'accroître la nécessité de la traçabilité, de la preuve et du devoir de vérité. Dès lors, comment archiver de manière fiable, éventuellement à très long terme les données établies, transformées ou reçues sous forme électronique? La problématique de l'archivage des écrits électronique est au coeur des débats et plusieurs solutions sont envisagées. Un document électronique est lié aux logiciels et matériels capables de l'interpréter et de le rendre intelligible. Il en découle que la préservation d'un acte n'est pas simple.